Le chat du rabbin, adapté des BD de Joann Sfar, n'est pas seulement fait d'images animées. Il est aussi composé de musique, comme tous les films. Olivier Daviaud, l'auteur surdoué de la BO de Gainsbourg (vie héroïque), y planche ardemment. 


Par Sandra Benedetti / Studio Ciné Live, Février 2010.



Il  est tout de fougue et de fièvre. Il parle avec les mains, sculpte dans l'air des orchestres entiers, module des mélodies silencieuses du bout des doigts. Les doubles croches et les arpèges sont ses rêves éveillés. Olivier Daviaud est musicien comme Joann Sfar est dessinateur : intensément. « Il y a deux ans, j'ai croisé Mathias, le chanteur de Dionysos, un ami, rue des Abesses. Quand je lui ai dit que je cherchais un compositeur pour Le chat du rabbin, il m'a immédiatement recommandé son arrangeur et celui d'Olivia Ruiz, Olivier Daviaud », se souvient Joann. Ils se rencontrent et se plaisent. Daviaud compose six musiques pour Le chat en guise d'essai. Deux fois plus que prévu : « J'avais tellement envie d'être engagé, j'étais trop content que Joann, dont j'adorais les BD, me propose d'écrire la bande originale de son film ! » Il invente des harmonies qui ondoient en spirales de lumière, des houles de piano qui s'écrasent sur des berges étoilées de flûte roumaine. Sfar n'aime pas, il adore : « C'est un génie, Olivier. Comme je suis très famille, très mafia, j'ai décidé de lui confier les BO de tous mes films » Y compris Gainsbourg (vie héroïque), splendeur des yeux et des oreilles. « Avant de me lancer sur Gainsbourg, j'ai créé douze thèmes pour le Chat à partir du scénario, alors que les animateurs n'avaient pas encore commencé à travailler. Mais j'avais les images, l'atmosphère en tête puisque je connaissais les BD par coeur ». Gainsbourg le dévore et l'enflamme pendant près de deux ans. Olivier Daviaud en émerge en novembre dernier, éreinté, lessivé, blême comme ces nuits blanches balayées de guitare et de violon passées avec le fantôme de Gainsbarre. « J'aurais dû prendre des vacances, mais j'avais trop hâte de me remettre au Chat du rabbin. En plus, j'ai vu les séquences du film, c'est sublime, ça place la barre très haut pour moi, j'ai envie d'être à la hauteur ! » Sfar, qui ne fait rien comme les autres, veut réaliser un film de cinéma avec Le chat du rabbin, pas un film d'animation. Daviaud acquiesce. Il va lui faire du Lawrence d'Arabie, du Sinbad le marin, de l'hollywoodien période dorée où l'Orient naissait des fantasmes d'Occidentaux qui n'y avaient jamais mis les pieds, coupoles de stuc et caftans d'argent. Il puise dans la musique traditionnelle du Maghreb, dans les rythmes d'Afrique noire qu'il saupoudre de musique classique pour créer un folklore imaginaire. Il y aura de l'oud, de la derbouka et des bois, des cordes, des cuivres. « Ce sera les Mille et une nuits », dit-il, les yeux emplis de tous les sables du désert, de soieries merveilleuses et de crépuscules veloutés. Dans sa petite maison avec jardin, sous les flots de lumière de son studio, « j'ai un vélux, j'adore ça, j'ai besoin de lumière pour composer, me demande pas pourquoi », Olivier couche les notes du Chat au crayon, sur du papier, « je ne suis pas doué en technologie », s'enregistre au piano, à la guitare, au choeur, « j'enregistre n'importe comment et après je refais mes maquettes en studio avec un ingénieur du son. Mais généralement, Joann préfère mes maquettes ». Il en sort des morceaux baignés de nuits orientales, qui sentent l'iode et le citronnier, des mélodies qui chaloupent comme des hanches de femmes, sensuelles et joyeuses, des sonorités à base de tambourin et de violoncelle, qui évoquent les casbah martelées de soleil, les palmiers aux longues ombres ébouriffées. « Le chat du rabbin est une grande aventure, mais c'est aussi un conte philosophique, qui parle des religions, de l'amitié entre les peuples et d'un homme de lettres, le rabbin. Je voulais qu'on sente que cette aventure est aussi intellectuelle que populaire,  qu'il y ait un contrepoint dans la musique, quelque chose de serein, de contemplatif dans un film qui sera coloré, joyeux et vivant. » Il a 70 minutes de musique à composer, sur 80 minutes de film. Il lâche ça d'un air à la fois ravi et estomaqué. Depuis Noël, il travaille à partir des scènes animées. « Je dois m'adapter aux dialogues, au tempo du film, c'est un métier », qu'il expire, encore sous le coup de ce cadeau mirobolant offert par Joann Sfar et son co-réalisateur Antoine Delesvaux.  Il voudrait raconter l'histoire du Chat en Fa, si, do, la, comme si c'était un film muet et qu'on comprenne tout rien qu'avec des dièses et des soupirs. « Tiens, écoute ». Une dentelle de flûte s'enroule autour d'un piano rêveur, Zlabya la belle, Alger la blanche et un rabbin à babouches surgissent entre les notes, mirages d'artistes, magies imaginaires. « L'apport d'Olivier au film est incroyable, tu peux pas savoir », soupire Antoine Delesvaux. Maintenant, si.

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LE CHAT DU RABBIN, la nouvelle fable humaniste de Joann Sfar



Couronné de quatre César pour son premier film,Gainsbourg (vie héroïque), l’auteur du Chat du rabbin

donne une nouvelle dimension à la bande dessinée qui l’a rendu célèbre en l’adaptant au cinéma.




 Le Chat du rabbin sort au lendemain du débat sur la laïcité. Ne craignez-vous pas qu’on en profite pour dénaturer votre propos ?

J’ai fait ce dessin animé pour des raisons intimes, tendres, familiales, mais je sens que le sujet du
Chat du rabbin rendra ces questions inévitables. J’ai tourné pendant une dizaine d’années avec cette bande dessinée dans des collèges et des lycées de ZEP pour parler avec les gamins, mon premier moteur étant de faire baisser le degré de haine. J’ai le sentiment que, quand j’étais adolescent, le racisme était quelque chose d’assez simple. On était dans une société d’origine gauloise qui vivait mal l’arrivée d’une population immigrée. Maintenant, c’est devenu un vrai champ de mines où la France s’est morcelée en plein de groupes qui s’imaginent différents les uns des autres et qui se détestent tous de plus en plus, mais qui ne se connaissent pas. Aujourd’hui, les petits Juifs et les petits Arabes que je rencontre, à force de se revendiquer d’Israël ou de la Palestine, en arrivent à oublier qu’ils viennent tous du Maghreb. Je suis désespérément à la recherche d’images positives de l’immigration. Je me souviens de Romain Gary disant du Christ dans La Tête coupable : « Son pacifisme consistait à serrer les poings, serrer les dents et se retenir de casser la gueule à ses semblables. » Or je crois qu’on ne mesure pas le degré de colère qu’il faut pour défendre une parole pacifique. La vie quotidienne est tellement précieuse qu’on ne peut pas la gâcher avec des idées empoisonnées. Le message omniprésent du Chat du rabbin s’adresse à toutes les communautés et je crois que cet humanisme-là, on peut le sauver. L’examen très voltairien que fait ce petit chat de tous les humains qu’il croise l’amène à les considérer tous comme des imbéciles, sans cesser de les aimer pour autant.

 Ça rappelle cette fameuse une de Charlie Hebdo qui disait : « C’est dur d’être aimé par des cons ! »…

J’ai passé deux ans à Charlie Hebdo, j’ai dessiné pendant tout le procès des « caricatures de Mahomet », mais je ne m’exprime pas par l’insulte. J’ai envie de vivre et de rire avec les gens. Si je réussis à m’amuser et qu’en plus je fais rire les curés, les rabbins et les imams, je suis content et les fidèles encore plus. Je n’oserais pas me regarder dans une glace si je mettais de l’eau dans mon vin et si je faisais du chagrin à quiconque. Quand, dans Le Chat du rabbin, je m’en prends très violemment à l’islam politique, j’essaie de rappeler que ce mouvement fondamentaliste est né en 1930 en Égypte à l’initiative des Frères musulmans et que c’est aussi une forme de colonialisme. Quand je fais dire à mon intégriste : « Le seul dialogue avec les Juifs passe par le fil de l’épée », c’est une phrase prononcée par le maître à penser de Tariq Ramadan il y a moins de dix ans !

 Avez-vous transmis une culture religieuse à vos enfants ?

Mes gosses ne suivent aucun enseignement religieux, mais il ne se passe pas une semaine sans qu’ils se demandent : « Est-ce qu’on va mourir ? » ou « Est-ce qu’il y a une vie après la mort ? » Je suis très érudit sur la question, mais j’ai un vrai problème avec les grandes religions, c’est qu’elles ont toutes un point commun quand elles disent : « On a raison et les autres ont tort… » Mon objectif est d’expliquer qu’un musée est aussi sacré qu’un temple, qu’un texte de littérature ou de poésie est autant investi de spiritualité, car s’il y a un souffle divin, il est dans les mots qui nous viennent tous les matins. J’avoue que j’ai un peu souffert de l’enseignement religieux quand j’étais gamin. J’ai eu un grand-père totalement agnostique, parce qu’il avait suivi des études pour devenir rabbin en Pologne, et comme toute sa famille a été décimée, il a décidé que soit Dieu n’existait pas, soit qu’il était un con. À l’inverse, mon papa, qui est un Juif d’Algérie très viril, très militant, très combattant, m’a prodigué un enseignement religieux très poussé, lui aussi pour des raisons idéologiques, parce qu’il disait : « On a essayé de nous exterminer, il faut que ce truc-là survive. » Ces feux croisés donnaient un quotidien un peu pénible, mais je suis obligé d’avouer que mon imaginaire s’est construit pendant de longues journées d’ennui à la synagogue. J’ai aussi fait partie de ces enfants qui ont entendu pendant les cours d’hébreu que s’il y avait eu la Shoah, c’était parce que les Juifs n’avaient pas été assez croyants et s’étaient détournés de Dieu… Mais attention, je ne suis pas un révolté pour autant. J’ai une émotion sans bornes pour les hommes en prière, je prie plus souvent qu’à mon tour, je fréquente les temples, mais la transmission, je ne l’ai pas assurée. Ne pas transmettre quelque chose à ses enfants, c’est aussi un choix. Mon épouse vient d’une famille de catholiques lituaniens, mais elle n’est pas pratiquante du tout. Accepter que des enfants aient une identité moderne, c’est-à-dire que leurs racines se perdent dans l’histoire de leurs parents, c’est aussi mettre une claque à cette idée de quête des racines qui ne me plaît pas beaucoup. Quand on décide de ne pas circoncire son petit garçon, il y a toujours des gens pour vous dire que depuis trente-trois siècles, vous êtes le premier à rompre une chaîne sacrée. Or, là, je trouve que c’est donner énormément d’importance à un acte de chirurgie postnatale !

 Le Chat du rabbin n’exprime-t-il pas aussi ce bon sens ?

J’ai eu le sentiment de faire un livre pour m’excuser de mon agnosticisme, alors que des centaines de personnes m’ont dit qu’il les avait fait revenir au judaïsme, simplement parce que je présente Dieu comme un « type bien », alors que beaucoup l’imaginent comme le père Fouettard. En tant que dessinateur, l’autre procès que je veux bien intenter aux religions, en tout cas à l’islam et au judaïsme avant le christianisme, c’est le problème de l’iconoclasme : l’incapacité à regarder un visage, ça dit beaucoup de choses. Quand on dessine, il y a une stance, il y a un moment de pause pendant lequel on regarde le visage de quelqu’un et l’on navigue constamment entre l’autre et le semblable. S’il y a un message dans le film, c’est peut-être cette idée qui consiste à regarder avant de parler et à manger ensemble. J’aime bien mettre mes personnages en difficulté, mais ils en sortent toujours grandis. Et puis, il y a un moment où mon héros a envie qu’on lui fasse des câlins, qu’il s’agisse de Gainsbourg ou du chat du rabbin. Une vraie caresse est aussi sacrée qu’une prière.

 Trouvez-vous une forme de spiritualité dans l’humour ?

La spiritualité est partout. Je me reconnais dans le chat quand il dit : « Je suis aimant, mais je ne suis pas gentil. » Je ne suis pas un pacifiste, mais si j’ai l’air parfois de m’en prendre violemment à la religion, c’est qu’il y a de la tartufferie à faire croire qu’elle n’existerait qu’à l’entrée d’un temple. Je me sens très proche de cet espace de la représentation familier aux Anglais et aux Allemands, mais qu’on connaît si peu en France. Depuis la Nouvelle Vague, on confond le réel et le vrai. On s’imagine qu’un reportage va avoir le même statut qu’une fiction, alors que ce n’est pas du tout la même chose. Le Chat du rabbin est l’aboutissement de quatre ans de travail pour 170 personnes.


interview par Jean-Philippe Guerand et Jennifer Schwarz - le monde des religions - publié le 05/05/2011